Groupe Signes
Groupe Signes
Il y a 25 ans, au moment de la création du Groupe Signes, intuitivement m'est apparue l'importance de mettre en acte l'idée force que, la marge pouvait nourrir la norme et la transformer. Une option d'autant plus vérifiable que j'étais déterminé sur le principe du métissage à parité égale entre des acteurs en situation de handicap, et d'autres dont on ne le dit pas. Très vite ce choix s'est révélé décisif et riche de découvertes. Celles d'explorer les liens invisibles, d'interroger les tressaillements inattendus avec acuité et sensibilité. Une sorte d'approche de la spéléologie de nos mondes intérieurs, pour y puiser l'audace de réformer, d'innover dans une société en voie de déshumanisation.
Une aventure dans laquelle se sont engagés des hommes et des femmes, venus de tous les horizons, pour tenter de changer le regard sur la personne en situation de handicap.
Dans cette voie, notre engagement nous confirme, s'il en était besoin que chacun, quelque soit son sort, est sur terre pour donner du sens et une forme aux choses. Dans le champ des pratiques artistiques des personnes en situation de handicap, vouloir réagir, contester l'implacable normalité, relève aujourd'hui de l'insolence. Avec beaucoup d'autres artistes, je suis convaincu qu'il faut emboîter le pas de ceux qui vont à l'envers des grammaires habituelles, des morales qui tuent les enthousiasmes. Cela, dans la création artistique, afin d'aller encore plus loin dans la direction où la part d'enchantement, passe par la condition d'associer à la recherche les personnes dites handicapées. Autrement dit, prendre en considération que la marge nourrit la norme et la transforme, relève pour moi de la condition sine qua non. Ce parti pris, nous renvoie au concept de ressemblance dans l'espèce humaine et par voie de conséquence nous ramène en arrière aux origines biologiques et aux archétypes de l'art.
Tout cela nous éloigne de la définition restrictive du handicap, et nous incite à découvrir concrètement, qu'il est possible d'élargir notre champ de compréhension de l'homme, au-delà de l'approche clinique, médicale et sociale. Ce choix exige d'assumer une réelle déstabilisation des représentations intégrées par le plus grand nombre au sujet de la personne handicapée.
Dans ce champ de réflexion, j'ai pris appui dans mon travail de thèse sur le concept de geste fossile, mis à jour par André Leroi-Gourhan. Une découverte prise en compte de façon très pragmatique par Jacques Lecoq, lorsque dans son enseignement il prônait la mobilisation des gestes oubliés. C'est là, un des pans fascinants de l'être au monde, exploré par Fernand Deligny et quelques anthropologues.
Dans ce sillage, au cours de mes échanges avec Peter Brook, j'ai retenu sa quête du geste juste. Pour moi, elle éclaire la définition de la notion d'acteur qui est très différente de celle de comédien. En effet, alors que l'un mobilise la notion de l'en-deçà dans sa démarche, l'autre reproduit et personnalise dans son jeu, ce qu'il a observé. A ce propos, avec Bernard Martino, je partage la conviction que l'en-deçà, est une part atavique de nous-mêmes. Il n'y a pas qu'un ailleurs, il y a aussi un avant reptilien simiesque, qui persiste en dépit des efforts pour en nier la trace dans la moindre de nos pulsions, dans la plus évanescente de nos pensées, dans chacun de nos actes.
Cette découverte, au cours des 25 ans du Groupe Signes, est décisive. Elle est au cœur de mon écriture dramaturgique, elle fait brèche en orientant ma façon d'aborder le théâtre. Ce faisant, elle permet surtout de faire de tous, celles et ceux qu'on tient éloignés, des prochains, des partenaires. En cela, la Marge nourrit la Norme et la transforme.
Claude Chalaguier
Nourrir la Norme par la Marge